-La psychologie est un facteur de la plus haute importance pour un groupe qui a atteint le sommet. Leur capacité à travailler ensemble est garante de leur longévité, donc une pomme pourrie risque de changer la donne pour chacun.
La semaine dernière, l’organiste de Deep Purple, Jon Lord, admettait être de nature paresseuse et avoir besoin de la pression d’autres personnes. Son sentiment était que Roger Glover, le bassiste du groupe, était le plus proche de lui à cet égard et que le guitariste, Ritchie Blackmore, faisait preuve de la plus grande détermination et faisait tourner le business. Roger partage cette analyse et va même plus loin en ajoutant :
« Jon et moi sommes plutôt diplomates avant tout. Nous évitons d’offenser. Ritchie, lui, pense d’abord à lui-même, ce que font la plupart des gens d’ailleurs. S’il est aimable avec vous, c’est qu’il y a intérêt, parce qu’il se fout de savoir ce que les gens pensent de lui. Seul leur avis sur sa musique l’intéresse. Il se soucie peu de qui il emmerde. Ritchie ne parle pas souvent, mais quand il le fait, il se lâche. Ian et Ritchie font un peu la paire, tandis que Jon et moi, nous nous ressemblons. Ian Gillan est un peu le bizarre de la bande, il peut faire son rebelle parfois et péter un câble pour foutre le bordel, mais il peut aussi être très diplomate. Je suppose que je suis plutôt le mec normal du groupe qui assure la paix entre les autres, parce qu’il en faut peu pour me satisfaire. En fait, je ne me suis jamais opposé à quelqu’un jusqu’à ce que j’aie rejoint le groupe. Et encore maintenant, j’évite. Ça arrive de manière étrange, comme avec les filles. Avant, je m’en faisais pas mal quant à la manière de parler aux filles pour rompre. Maintenant, je fais en sorte d’être honnête. J’ai traversé l’adolescence et ses difficultés - le complexe d’infériorité et beaucoup de déprime – ce sont des sentiments qui pointent encore le bout du nez de temps en temps, mais je me connais et je sais détecter l’auto-apitoiement. Avant de rejoindre le groupe, j’essayais d’être quelqu’un d’autre, de me donner des airs. Je suis devenu très parano à propos de mon apparence. Et puis j’ai finalement décidé que rien ne changerait mon visage et que tout ce que j’essaierais aboutirait sans doute à quelque chose de pire. J’aurais pu finir très vaniteux. Je me suis dit : « voilà, c’est ton visage, tu l’aimes ou tu fais avec ! Tu ne peux rien y faire de toute façon ». Et c’est comme ça pour plein de choses : musique, poésie, relations, affaires, etc. Lorsque j’écrivais pas mal de poèmes, je me demandais toujours comment les autres allaient les considérer. Aujourd’hui, je n’écris plus qu’en fonction de ce qui me passe par la tête. La raison d’être de la création, c’est la communication et vous devez songer aux autres aussi, mais j’essaie de leur faire voir ce que je ressens plutôt que de me plier à leurs attentes. Bon, ceci dit, je n’écris plus aussi souvent aujourd’hui, plutôt par à-coups. »
Assez étonnamment, Roger n’est pas convaincu que la basse est le meilleur « instrument » de cette véritable expression. La plupart du temps, il s’amuse énormément en claquant la rythmique de Deep Purple, mais en certaines rares occasions, ça ne lui suffit pas. Tous les artistes souffrent à certains moments de leur incapacité à produire l’expression adéquate, et pourtant cela demeure une situation très personnelle, rarement comprise par les autres.
« Je très frustré » admet-il. Je ressens quelque chose en moi qui est sur le point de faire surface ; Je me rends compte qu’il y a plus qui reste en moi qu’il n’en sort. Je ne pense pas avoir trouvé mon véritable « instrument ». Ce n’est sans doute pas la basse. Il se peut que ce soit la poésie ou la peinture ; ça peut se manifester avec Purple, ou pas. Indubitablement, je ressens quelque chose qui monte. C’est la salive qui monte en ce moment, mais un jour je vais le gerber et ça sera hors de moi. Je bouffe tous les jours, mais je ne chie que les déchets - beaucoup de trucs importants restent en moi. Je ne me lasse pas de la basse en tant que telle, mais je me sens insatisfait de manière générale. J’entends Ian Paice et Ritchie jouer et ce sont leurs tripes qui en sortent. Moi, c’est juste quelques notes. Je voudrais que les gens sachent ce que je ressens individuellement, pas uniquement ce que ressent le groupe dans sa totalité. Je ne sais pas trop ce qu’ils apprécient chez nous, mais les autres semblent y mettre toute leur âme et établir une connexion. On a tous un égo. Je veux que les gens m’apprécient moi, et non uniquement Purple en tant que groupe. La basse est aussi importante que n’importe quel autre instrument. La frustration, ce n’est qu’au plan personnel. Aucun membre n’est plus important que les autres. Deep Purple, c’est une entreprise de cinq mecs et l’une des rares à fonctionner sans un élément dominant. Un temps, Jon a eu ce rôle. Durant la période « In Rock » : la presse lui sautait dessus à cause du Concerto for Group & Orchestra. Ils pensaient qu’il était le leader. Il y a eu quelques scandales à cause de ça et certains en ont été irrités. On subit encore ce syndrome, mais il n’est pas le leader : c’est un groupe démocratique. Lui et Ritchie sont les moteurs : ils lancent l’action et le reste d’entre nous prend le train en marche pour compléter la musique. Nous partageons tous les droits d’auteur, ce qui, à certains moments, peut avoir ses inconvénients. Ça peut devenir électrique quand il y a des frictions suite à des droits d’auteur indus sur un album, mais c’est du donnant-donnant pour moi. Parfois, on reçoit trop peu, parfois trop. Ritchie est le plus irrité par ce système. Il veut la reconnaissance d’auteur pour ce qu’il compose. Je ne pense pas qu’on en viendra à des droits d’auteur individuels, parce que notre musique ne tient pas dans un seul ensemble et n’est pas une musique à texte : c’est un tout. On est un groupe coopératif à maints égards, donc personne ne peut se montrer vorace quand il s’agit des royalties. Peu importe ce que disent d’autres artistes, l’argent est toujours le monstre dans une relation. Tu es toujours très conscient de ce que tu gagnes comme fric. Avant, on était un groupe en colère, en colère parce que les gens ne nous reconnaissaient pas, mais maintenant, on a chacun notre bicoque, nos fringues, nos bagnoles et les choses sont plus faciles. »
Peut-être les choses sont-elles plus faciles dans leur vie privée, mais sur scène, ce n’est pas si paisible. Ils continuent d’imprimer un rythme effréné dans la droite ligne de ce qui a fait ce qu’ils sont.
un grand merci a Jean François Mayence